Il fend l’armure, droit dans ses bottes : Alain Juppé ne nous surprend pas par la netteté de ses propos. Il nous a habitués à son parler direct. Plus étonnant, en revanche, le caractère intime de ses confidences au Point. Il est extrêmement rare que ce Landais pudique livre une part de sa vérité personnelle. En l’occurrence, l’expérience vécue lors de la longue et pénible maladie de son père. Ce qui le conduit aujourd’hui à prendre parti, clairement et courageusement, dans le débat sur le suicide assisté.

Il avoue avoir changé d’avis sur la question, avoir été « très réticent à l’idée qu’on puisse choisir la date de sa mort ou de sa fin de vie ». Et puis il a vu son père, après des années de cancer, se « tordre de douleur sur son lit d’hôpital » et a dit aux médecins : « Ça suffit ! » Il n’y avait pas de loi à l’époque. Cela l’a fait réfléchir, et penser : « Dans certaines circonstances, la vie est certes sacrée, mais la dignité de la personne aussi. » Voilà pourquoi, explique-t-il, « j’ai évolué sur le sujet ».

À LIRE AUSSI Alain Juppé : « Qu’est-ce qui interdit de consacrer une femme prêtre ? »L’ancien Premier ministre, membre du Conseil constitutionnel, n’hésite pas à donner son avis sur ce sujet délicat au moment où les élus de la nation vont être amenés à se prononcer. « Si j’étais parlementaire, je voterais certainement une loi sur la fin de vie », affirme-t-il sans se soucier de son éventuelle obligation de réserve de Sage. « Je suis peut-être à la limite, mais c’est pour une belle cause », nous dit-il après avoir mesuré les répercussions possibles de son entretien au Point.

Dans la même chronique

Si jamais ma position pose des problèmes et que le texte de loi est soumis au Conseil constitutionnel, je me déporterai.Alain Juppé

Les adversaires du suicide assisté risquent pourtant de lui reprocher d’intervenir à propos d’un texte qui peut être ensuite soumis à son examen. Il assure d’abord que sur les questions de société le contrôle des Sages est distancié. Puis après un temps de réflexion, il trouve la parade : « Si jamais ma position pose des problèmes et que le texte de loi est soumis au Conseil constitutionnel, je me déporterai. » Pas question de retirer un mot de ce qu’il a dit. On retrouve notre Juppé droit dans ses bottes. Il veut qu’on ait le droit d’en finir.

Juppé attaché au catholicisme

À Découvrir

Le Kangourou du jour

Répondre

« C’est une liberté. Ceux qui n’ont pas envie d’exercer ce droit n’ont qu’à ne pas l’utiliser », lance-t-il, un brin bravache. Cet ancien enfant de chœur, qui rêvait de devenir pape et reste attaché au catholicisme, affirme « faire la distinction » entre vie politique et vie intime. Mais cette intimité, il en a dévoilé un pan aujourd’hui pour mieux justifier une conviction nouvelle sur une grave question de conscience.

Pour cet homme qui n’aime pas étaler ses états d’âme, cette franchise est doublement courageuse. Et bienvenue pour tous ceux qui souhaitent, comme lui, qu’une loi passe enfin. À l’heure où François Bayrou a, lui aussi, fait part de sa philosophie de la vie et de la mort, et donné le sentiment d’être en désaccord avec les partisans de l’aide à mourir, l’intervention d’Alain Juppé va compter. Entre le Bordelais et le Béarnais, les Français semblent du côté du premier. Leurs représentants vont bientôt trancher.