Les Anomalies de l’AMIF : Un Système à Repenser
Les maires exerçant en Île-de-France voyagent, dînent, déjeunent, jouent au golf… aux frais des entreprises fournisseurs de leurs communes, dans le cadre d’un système institutionnalisé.
L’Association des Maires d’Île-de-France (AMIF), fondée en 1990, regroupe des maires de la région parisienne issus des principales formations politiques, de gauche à droite. Elle est censée organiser pour eux toutes sortes d’activités pour faciliter l’exercice de leurs responsabilités. Actuellement présidée par Stéphane Beaudet (LR), l’AMIF compte dans son Conseil d’Administration la mairie de Paris et des personnalités d’envergure nationale. L’AMIF est souvent critiquée pour son inutilité. En réalité, ses activités d’information en direction des élus sont redondantes avec celles proposées par l’Association des Maires de France (AMF). L’AMIF organise un salon identique au traditionnel salon des Maires de France, dans le même lieu (Porte de Versailles), impliquant les mêmes participants. Elle publie des communiqués et des articles qui paraphrasent les publications des ministères ou de l’AMF. L’existence d’une association de maires au plan régional comme l’AMIF n’a pas de pertinence opérationnelle, d’ailleurs il n’en existe pas d’autre en France.
Cette redondance suscite des questions depuis plusieurs années, mais aucune réforme n’a permis de supprimer l’AMIF. Son utilité pour les entreprises dans leurs actions de lobbying et d’influence en direction des élus locaux justifie certainement cela.
Depuis l’extension, le 1er juillet 2022, du champ de contrôle du lobbying aux collectivités locales et aux élus locaux, plusieurs mécanismes de financement et d’interactions entre entreprises et élus sont devenus sujets à controverse. L’Association des Maires d’Île-de-France (AMIF), en particulier, est montrée du doigt comme étant un des seuls lieux en France où les décideurs publics côtoient et copinent ouvertement avec les fournisseurs publics.
Le Montage AMIF et AMIF Partenaires
L’AMIF regroupe un millier de maires de la région Île-de-France qui se retrouvent lors d’événements divers (colloques, repas et dîners de travail, voyages d’étude, journées de golf…). Pour financer ses activités, l’AMIF a créé une association parallèle, AMIF Partenaires (anciennement AMIF Entreprises). Cette dernière regroupe autour des élus, des entreprises fournisseurs des collectivités locales ou intéressées à leur décisions. Comme on va le voir ci-dessous, ce montage permet de faire financer par les entreprises dépendantes des marchés publics, des activités au profit des élus locaux.
Bien que cette structure s’emploie à justifier sans cesse son utilité, elle soulève en réalité plusieurs grosses problématiques :
Confusion des Genres : Les deux associations en affichage sont en réalité une seule de fait. Elles partagent la même adresse, le même président, le même site internet et le même secrétariat. On verra que si elles ont deux budgets, elles partagent en réalité les dépenses… inéquitablement. Cette fausse séparation des intérêts entre le secteur privé et les élus est l’inverse de toute éthique moderne en politique. Cela constitue un terreau propice aux ententes, aux favoritismes et à la corruption.
Financement des Activités des Élus par les Entreprises : Le fait que les financements injectés par les entreprises dans « AMIF Partenaires » bénéficient finalement aux élus engendre des conflits d’intérêts. Les élus locaux, censés être indépendants dans leurs décisions, sont en réalité piégés dans un système les rendant redevables aux entreprises qui soutiennent financièrement leurs activités, leurs sorties et voyages.
Des Événements au Service du Lobbying
L’AMIF organise régulièrement des événements, tels que le « Salon des maires d’Île-de-France », des trophées de golf et des voyages d’étude. Ces événements sont financés par les entreprises dans des proportions qui permettent d’offrir la gratuité aux élus ou de leur demander des participations très modestes. Ces événements sont censés favoriser le partage d’informations. À titre d’exemple, les voyages d’études de ces trois dernières années se sont déroulés en Espagne (Madrid), au Canada et en Estonie (automne 2024). Les élus ont été accueillis dans des restaurants et de l’hôtellerie de luxe et ont côtoyé durant 3 jours, matin, midi et soir, les commerciaux des entreprises fournisseurs des marchés publics qui finançaient l’opération.
De cela, plusieurs points préoccupants émergent :
- Accès Préférentiel aux Élus : Ces événements offrent à certaines entreprises un accès privilégié aux élus locaux. Les discussions en tête-à-tête lors de ces rencontres, dans lesquelles les élus sont captifs, instituent une camaraderie aux arrière-pensées malsaines. Des négociations et des arrangements en dehors de tout cadre transparent et public peuvent être convenus.
- Prises en Charge des dépenses des Élus : En marge des voyages, certains élus profitent du carnet de chèques de leurs accompagnateurs prêts à payer les consommations, les entrées d’établissements nocturnes et autres frais de divertissement. La consultation des notes de frais des commerciaux participant aux « voyages d’étude » fait apparaître qu’ils prennent en charge des « frais de bouche » et « faux frais » qui ne sont pas les leurs.
- Objectifs informatifs Inexistants ou Inutiles : Les voyages d’étude, trophées de golf et autres événements financés par les entreprises sont souvent critiqués pour leur manque d’objectifs autres que le loisir. Au lieu de promouvoir l’information véritablement bénéfique pour les collectivités, ils sont en réalité des prétextes à des déplacements touristiques, à la pratique du golf ou à d’autres activités ludiques.
Ce système est connu de tous, des membres des instances de l’AMIF jusqu’à chacun des maires lorsqu’il propose à son conseil municipal d’adhérer annuellement à l’association AMIF. Ces décisions lourdes de conséquences ne suscitent que très rarement de débat au sein des conseils municipaux, du fait de la confiance que les élus font à la présentation qui leur est faite. On leur dit que l’AMIF est utile pour leur commune, que cela permet d’accéder à des informations… mais personne n’indique que ce que propose l’AMIF est déjà disponible autrement et gratuitement. Indirectement, il y a derrière chaque maire un profiteur potentiel, ou au mieux un complice, de ce système qui a tous les aspects d’une machine à corruption.
Un Cadre Réglementaire Insuffisant
La Haute Autorité pour la Transparence de la Vie Publique (HATVP), dans son rapport annuel du 29 mai 2024, a souligné que « l’acculturation à ce nouveau cadre réglementaire garant de l’éthique n’est pas encore satisfaisante au niveau local ». Le cas de l’AMIF illustre parfaitement ces lacunes. Les mécanismes de contrôle et de transparence actuels ne suffisent pas à garantir que les pratiques de lobbying soient conduites de manière éthique et transparente.
Conclusion
La structure actuelle de l’AMIF et de son association satellite, AMIF Partenaires, permet de soudoyer les élus locaux de l’Île-de-France. Même s’il est évident que tous les élus n’ont pas profité de ce système, le simple fait qu’il existe est une anomalie coupable. Les communes qui adhèrent à l’AMIF le font en toute connaissance de cause, surtout lorsqu’elles ne participent qu’à cette seule association d’élus.